« The shape of water » de Guillermo del Toro avec Sally Hawkins , Michael Shannon, Octavia Spencer, Richard Jenkins, Mickael Stuhlbarg, Doug Jones… Sortie Cinéma le 21 février 2018
Etats Unis dans les années post 2ème guerre mondiale, en pleine guerre froide, Elisa Esposito est muette tout comme sa vie sentimentale.Son colocataire est un vieil homosexuel , Giles (Richard Jenkins) nostalgique du temps passé (« Je reconnais mes yeux avec cette tête de vieillard ») . Elle a aussi comme « bonne copine » bienveillante, Zelda (Octavia Spencer), une black, employée comme elle au service nettoyage. Elle officie donc comme simple femme de ménage dans une agence gouvernementale secrète, centre de recherche aérospatiale. Elle est est intriguée par une créature amphibie , prisonnière et sujette à expérimentation maltraitée par Richard Strickland (Michael Shannon) responsable sadique de ce « programme spécial ». Elisa tombe sous le charme de cette créature « différente » et sensible au delà de son apparence physique. Elle décide de tenter l’impossible et le non raisonnable, l’enlever avec l’aide de ses deux amis.
Guillermo del Toro signe avec « the shape of water » un film personnel et référencé où sa liberté créative va rejoindre ses thèmes de prédilection habituels.
Le réalisateur mexicain a souvent abordé , les histoires d’amour compliquées ou tronquées (« Hellboy » « Crimson Peak » …) , le droit à la différence , son amour pour les monstres et les fantômes … C’est un adepte du genre fantastique et du « film de monstres » . Del Toro dit que « the shape of water » et sa consécration permet de « démarginaliser » le genre ! Le film a reçu le Lion d’or à Venise en 2017 et écume les cérémonies de prix (Golden Globes /SAG/Baftas…) et del Toro est favori à l’oscar du meilleur réalisateur et ses 13 nominations au compteur du film .
L’une des sociétés de production du film est « Double Dare You Productions » qu’on pourrait traduire par « Osons doublement Productions » . Et on ne peut pas dire que Del Toro n’ose pas dans « the shape of water ». Son héroïne se masturbe, séduit une créature en « posant des œufs durs » et entame une relation sexuelle avec un monstre !!! L’humour et l’ironie sont bien présents aussi.
Son film a , sur deux séquences précises , des faux airs de « La La land » ou du moins fait aussi référence aux classiques des années d’or du musical d’Hollywood (« Shall we dance ?/ « Broadway melody of 1940 ». D’ailleurs ce charme désuet se retrouve dans « l’image globale » , la photo de Dan Laustsen instille une ambiance très fifties , un renvoi aussi au classique « L’étrange créature du lac noir » / « Creature from the black lagoon » (film en noir et blanc de 1954 découvert enfant par le réalisateur) et à l’univers SF de del Toro en utilisant la prédominance du vert par instants.
Un vieil adage cinéphile , journalistique ou scénaristique dit que « si le méchant est bon le film le sera. » Le bad guy de service est incarné , ici, par Michael Shannon. Et il est excellent en WASP* sadique, primaire, violent et retord, bien décidé à ne pas faillir face à sa direction et bien désireux de garder sa position sociale de dominant ! « Est ce qu’en tant que muette , vous couinez ? Je peux vous faire couiner! « .
Le monstre amphibien est « joué » par Doug Jones , le même acteur qui habitait le « costume » de Abe Sapien , un des personnages monstrueux de « Hellboy ». La filiation ou le cousinage est évident. La musique de Desplat renvoie , par moments , à celle d’ « Amélie Poulain », en utilisant avec parcimonie le bandonéon à la ressemblance sonore proche de l’accordéon. Le score m’a un peu gêné personnellement par ses accents appuyés à une certaine nostalgie et un parfum « français » assumé. Del Toro évite les pièges du côté poétique « trop sucré » ou « cul cul la praline » en instillant du mordant, de l’action dans son récit. Le personnage négatif et « insauvable » de Strickland ( Shannon) contrebalance aussi de manière nerveuse celui plus idéaliste et enfantin d’Elisa (Hawkins).
« The shape of water » est un hymne à la tolérance (« Je suis incomplète » « Il me voit belle telle que je suis » dira Elisa) , au respect des différences , aux amours impossibles , aux rêves les plus inaccessibles. Del Toro met son savoir faire, sa maîtrise formelle au service de son imaginaire « monstrueux » et nous emporte dans un univers désuet, poétique , fantastique (le genre) et référencé. L’adhésion au propos peut ne pas être total mais les qualités objectives (facture visuelle, interprétations justes, conduite du récit…) prédominent. « The shape of water » est à découvrir de toute manière pour l’aspect « onirique » et universel du propos teinté d’une SF à l’ancienne réjouissante.
*WASP White Anglo Saxon Protestant . Les WASP composent encore la majorité de la population aux Etats Unis (archétype d’un « profil » de la population US )