Pourquoi « Tenet » de Christopher Nolan est une demi – réussite ?
Sortie Cinéma Mercredi 26 Aout 2020
Un attentat se produit à l’Opéra en Ukraine, des forces d’intervention s’affairent pour résoudre la situation , la caméra tournoie , la virtuosité de Nolan est intacte . La scène d’ouverture intrigue & donne le ton de l’action efficace avec une tonalité « géo-politique » ! Fausse piste , si le spectateur est bien happé par cette scène tonitruante , il va être malmené par les méandres « labyrinthiques » de l’intrigue concoctée par Sir Nolan . En quelques mots , un agent de la CIA va devoir essayer de sauver le monde d’un anéantissement nucléaire en faisant face à un méchant sans scrupules et en jouant avec une « réalité inversée » , une double dimension , devant jouer avec le curseur du passé et du futur !
Des adjectifs peu employés peuvent être évoqués à la vision de ce « Tenet » . Deux , à mes yeux , se détachent : emberlificoté & rébarbatif !!!!!
Rébarbatif : Difficile et ennuyeux . Sujet rébarbarbatif
Emberlificoté : S’emmêler (dans quelque chose). S’emberlificoter dans une corde, s’empêtrer, s’entraver. Et dans emberlificoté , il y a aussi le mot « côté » .
L’aspect visuel du film est maîtrisé et visuellement élégant et speed mais pour autant si la forme est bien présente , Nolan n’est pas un tâcheron , le fond me paraît bien , passé les scènes d’introduction et d’exposition , rébarbatif et emberlificoté !
Et on ne peut pas dire que « Tenet » n’ait pas la côte ! Le héros de « Tenet » est sensé sauver le monde et « Tenet » lui même est sensé sauver le monde … du Cinéma ! Quand on voit Tom Cruise se filmer , allant au Cinéma voir « Tenet » et qu’on lui pose la question « fatale » à la fin de la projo « Vous avez aimé » et qu’il répond « I loved it » traduisible par « J’ai adoré » , on a bien compris que toute l’industrie souhaite un triomphe romain au film ou un succès suffisant pour redonner l’envie aux gens de se déplacer . Mais est-ce vraiment le « bon matériau » pour rebooster le désir et le plaisir des spectateurs . Ce n’est pas si sûr !
Certains critiques ont résumé le film en disant que « c’est James Bond qui rencontre Philip K Dick » . Ce qui est plutôt « réaliste » à première vue . Mais les derniers James Bond ont été bien « pâlots » en termes d’intrigues , surfant sur les codes bien clichés du héros . On parlait même , un temps , d’un acteur noir pour prendre la suite de Daniel Craig comme Idris Elba par exemple . Ici l’agent de la CIA , « le protagoniste principal » est incarné avec charisme et conviction par John David Washington (« BlackKlansman ») . L’acteur est investi sans faille et se pose en atout dans le suivi de cette histoire mêlant , thriller d’action et interrogation cérébrale mâtinée de SF .
Robert Pattison n’imprime pas forcément « la pellicule » (expression sciemment désuète au temps du numérique) et semble un peu perdu à débiter ses lignes de dialogue explicatives sans fin . il m’est apparu à l’écran, sur ce film en tout cas, comme « un sous-Leo Di Caprio » ! Les fans ne vont pas être content(e)s mais c’est mon ressenti .
Elisabeth Debicki a une belle présence (elle est grande ) mais pour autant on ne croit pas trop à l’attachement du protagoniste pour elle !
La musique de Ludwig Göransson est immersive et appuyée mais ressemble quand même fortement à celle d’Hans Zimmer .
Christopher Nolan est un auteur , c’est un fait ! Le film foisonne de bonnes idées et de « trouvailles scénaristiques périphériques » (la fausse capsule de cyanure , le port franc …) . Néanmoins le fil de la narration est tenu et parfois alambiqué . Ici il reprend des thèmes qui lui sont chers . La notion d’histoire inversée était présente dans « Memento » où le film « concept » faisait une sorte de reset visuel au service d’une intrigue déjà nébuleuse. La distorsion temporelle au delà de la filiation père -fille était un des fils rouges d' »Interstellar ». Le casse virtuose a été abordé sous d’autres formes dans « The Dark Knight » et « Inception » . Il propose donc un « blockbuster » inventif , singulier, visuel et « psychologique » alternant des scènes d’action percutantes avec des « tirades » cérébrales un peu trop explicatives ou sciemment évasives ! Le côté « anxiogène » n’est finalement pas si palpable et le côté « James Bond revisité » apporte à la fois un « côté décalé de la réalité » donc finalement pas si « impliquant » & une application évidente à « soigner » les scènes d’action notamment et les effets visuels liés à l’inversion.
Ce qui le différencie , au delà de sa singularité artistique et de son style élégant , âpre et parfois dérangeant c’est que le budget de ses films dépasse les 100 millions de $ et avoisine parfois même le double ! Mais « Ma petite entreprise ne connaît pas la crise « semble se dire le cinéaste britannique car le budget du film est entre 205 & 225 millions de $ . Nolan « a pris la confiance » (avec notamment le succès de « Dunkerque » , film expérimental au budget pharaonique) .C’est une entreprise familiale puisqu’on retrouve sa femme, comme à l’accoutumée , Emma Thomas à la production. Le film aurait fait merveille en présentation Hors Compétition au festival de Cannes mais la crise du Covid en a décidé autrement ! D’ailleurs c’est peut être cette même crise qui va permettre au film de connaître un « succès d’espoir » ! En tout cas les exploitants le souhaitent , les journalistes aussi apparemment et tous ceux et celles qui vivent du Cinéma !
« Tenet ne serait-il pas au final , malgré lui , une allégorie subliminale visionnaire, une sorte de « solution » , face à un danger d’extermination imminent du Cinéma et de ses acteurs ?!? Si cela s’avère vrai dans les chiffres de fréquentation , « Tenet » aura déjà gagné son pari , (re)faire venir les spectateurs dans les salles obscures avec un sujet pas si fédérateur et qui fera parler les fans et les « profanes » sur les significations cachées ou suggérées de cette histoire (« faussement » ?) compliquée.
Le film méritera un revisionnage mais à tête reposée » loin du contexte actuel si particulier afin de le réévaluer ou de rester sur ce sentiment de virtuosité mais teintée d’ennui .