« Wonderstruck » / « Le musée des merveilles » de Todd Haynes avec Oakes Fegley, Millicent Simmonds , Julianne Moore , Michelle Williams … Présenté à Cannes le 18 mai 2017 en Compétition Grand Théâtre Lumière Sortie Cinéma 15 Novembre 2017
Même si les sujets abordés par Todd Haynes dans ses films les plus marquants étaient des reflets sociétaux à travers des êtres « normalement opposés » comme « Loin du Paradis » (2002) et « Carol » (2015), sa réalisation était empreinte d’un classicisme élégant .
Avec « Wonderstruck » on pressent lors de la scène d’ouverture des loups que l’approche va être plus audacieuse et à contre courant ou du moins décalé par rapport à l’ ADN visuel originel de son Cinéma.
Dans un premier temps le réalisateur va bousculer la narration en alternant très fréquemment deux univers, deux histoires de deux enfants à des époques différentes . Rose est une enfant sourde en 1927 et Ben un gamin de 12 ans en 1977 . Le point commun entre les deux est une quête de filiation se traduisant dans le faits par une fugue salvatrice . Haynes va alterner les 2 époques en utilisant des procédés distinctifs au niveau visuel (Noir et blanc années 20 / couleur chaude tendance sépia pour les seventies ) musical et sonore . Ce qui fait la force du film c’est la symbiose de ces 3 éléments.
C’est un exercice de style magistral. La partie année 20 va immerger le spectateur dans l’univers mutique de Rose , l’absence de son va être contre balancée par la musique omniprésente, personnage à part entière et reflet des émotions de la petite fille . Pour Ben et les années 70 , le parti pris va être différent même si la surdité et son appréhension vont être présentes aussi . Le talent de Haynes est de nous transporter par l’image dans ces deux époques . Cette alternance va se faire de manière systématique. Au début ce switch temporel va devoir être apprivoisé par le spectateur . cela peut déranger tant la grammaire cinématographique est chamboulée. Todd Haynes structure et déstructure. Puis une sorte de tempo va s’installer dans ses va-et-vient apparaissant de plus en plus comme un allié à la fluidité du récit . Et on se surprend , lorsque la période années 70 prend le dessus (la rencontre de Ben avec le jeune black et leurs déambulations au musée) à vouloir retourner dans les années 20 avec Rose .Haynes porte un regard stylisé, poétique parfois (les bateaux en papier de Rose avec « help » inscrits dessus) sur le monde de l’enfance, une fuite en avant en quête d’identité et de reconnaissance affective.
La musique prend donc une place prépondérante dans le film , « Major Tom » de Bowie retentit plusieurs fois . Mais elle amplifie les codes du film muet dans la partie années 20 . Les violons , le piano retranscrivent les émotions de Rose (L’émerveillement face à la métropole par exemple), la dissociation rythmique des 2 époques est très marquée. Le sens visuel est décuplé , l’ouïe n’étant pas là, le montage est rapide, la très belle photo fait son oeuvre . Le plan des blacks avec le yellow cab , la « pompe d’eau » provoque une immersion instantanée dans les seventies par exemple.La retranscription de la perception du réel par les sourds , les bruits ambiants amplifiés retranscrivent aussi le travail et le soin apporté au son.
Le Cinéma de Todd Haynes est délicat et esthète . Au delà de l’aspect formel très réussi , l’intérêt peut se diluer par la volonté assumée d’étirer le fil scénaristique dans le temps, de complexifier une histoire très simple, au final . L’épilogue était un peu long .Le film est une adaptation par son propre auteur , Brian Selznick ( Hugo Cabret),d’un livre à succès . Sa densité, notamment l’aspect poétique, aurait peut être méritée une simplification sans édulcorer son propos .Le côté « recoupement familial » par le biais du bouquin ne m’a pas vraiment convaincu.
Son aspect expérimental va forcément déranger. Mais dans ce style de postulat et de choix artistiques , l’état d’esprit du spectateur est essentiel , le conservatisme ne peut être de mise pour bien recevoir ce voyage temporel raffiné axé sur l’enfance et ce besoin viscéral de reconnaissance .
« Wonderstruck » souffre de cet étirement assumé de l’espace temps à travers cet histoire « trans-générationnelle » . Oekles Fegley (Ben) est juste . Millicent Simmonds ( Rose) apparaît comme une petite fille aux accents Burtoniens avec un physique singulier et un regard authentique et chargée d’émotion. La jeune actrice est elle même sourde. Ils sont très bons dans deux registres différents . Les rôles tenus par Julianne Moore et Michelle Williams sont « périphériques » et avares de présence à l’écran surtout pour la seconde. « Wonderstruck » est un choc formel indiscutable n’arrivant pas, toute fois, à nous émouvoir de manière aussi imparable sur la durée !