« The Favourite » de Yórgos Lánthimos avec Olivia Colman , Emma Stone , Rachel Weisz, Nicholas Hoult , Joe Alwyn … Sortie Cinéma le 06 février 2019
Yórgos Lánthimos est un cinéaste grec au style radical et dérangeant qui s’est fait connaître au niveau international par deux films présentés au Festival de Cannes « The Lobster » (2015) et « Mise à mort du cerf sacré » (2017) . Il réunissait déjà autour des ses 2 précédents projets une pléiade d’acteurs reconnus tels que Colin Farrell , Nicole Kidman et Rachel Reisz . Ici avec « The Favourite » , « le Haenecke athénien » (le barbu à côté d’Emma Stone) s’attaque au film d’époque début XVIIIème siècle à la cour ou du moins dans l’entourage de la reine Anne d’Angleterre. Il est à noter que Lánthimos n’a pas co-écrit le script (signé par Deborah Dean Davis et Tony Mc Namara) comme les deux précédemment cités mais déclare : « Cela m’intéresse de perturber ce qui est considéré comme la norme » Qu’allait donc faire le cinéaste grec sous influence « Kubrickienne » (Stanley Kubrick) d’un film en costume ? Allait-on penser à « Barry Lyndon » ?
La réponse est plutôt négative car ici les trois personnages principaux sont des femmes . Même si des « tics de réalisation » renvoient à Kubrick par moments avec l’utilisation du « Fish eye » (employé dans « 2001 l’odyssée de l’espace ) par exemple , l’intention pour le réalisateur est d’appuyer le regard déformé autour de la reine et de faire ressentir sûrement aussi une sorte d’emprisonnement et de déformation de son quotidien L’ensemble est assez abordable et grand public . Le style un peu agaçant de la deuxième partie de « The Lobster » revient avec une musique lancinante et énervante mais ne s’éternise pas. En fait « The Favourite » est un écrin magnifique (belles lumières/ costumes d’époques) à la forme parfois crue, pour trois actrices et offre une partition réjouissante & destructrice à Olivia Colman en reine fantasque à la santé fragile, à Rachel Weisz en conseillère autoritaire retord & à Emma Stone en ingénue arriviste & désinhibée.
Trois portraits de femmes dont le statut ou le caractère vont évoluer au fil de l’histoire , des manigances et des intrigues sont la clef de voûte du film. La reine, dépressive, engoncée et dépassée par sa fonction ( la scène d’ouverture , sa longue traine pliée en quatre) , proche de la folie (17 enfants morts « réincarnés » à ses yeux en lapins) va évoluer vers « la cruauté clairvoyante » . « La reine a été poursuivie par la tragédie » dit la première confidente de la monarque , Lady Sarah Marlboro. Cette dernière joue de ses charmes et de son autorité pour gouverner et régenter les décisions politiques de la reine . Sa cousine éloignée, Abigail Mills , descendue de l’échelle sociale , se présente en « oie blanche » demandant un simple travail . D’abord aux cuisines , elle va s’introduire dans le cercle intime de cette reine si fragile et « embobinable » puis détrôner par la manigance et la perfidie , la favorite en place pour renouer avec son passé aristocratique.
C’est une progression crescendo à laquelle on assiste dans ce jeu pernicieux de dupes où presque personne n’en sortira indemne . Pour adhérer à cette proposition il fallait trois comédiennes de grande volée . Et c’est le cas .Cet exercice de style, féministe, est portée à l’unisson par ce trio parfait dont les personnages vont connaître une évolution constante et parfois subie.
Olivia Colman (actrice britannique vue dans la série Broadchurch par exemple) est excellente en reine déséquilibrée, sujette aux crises de boulimie, souvent « dépassée » par les enjeux politiques mais consciente par intermittences des manœuvres pour s’attacher ses faveurs . Elle joue la mélancolie et la folie sous-jacente avec une justesse impressionnante.
Rachel Weisz incarne avec grâce ce personnage froid , calculateur, sorte d’éminence grise de la reine et au final vouant un vrai attachement à Anne mais elle endossera le costume de « victime » non désirée.
Emma Stone est à la fois drôle , gentille, séductrice, sournoise , empoisonneuse, calculatrice , dangereuse, insensible, stratège à l’ambition féroce mais débauchée , pêchant par excès de confiance et démasquée ! C’est un choix judicieux du réalisateur car Emma Stone , fraîchement oscarisée , a un capital sympathie dont il joue pour mieux la pervertir et nous embarquer dans cette course à la reconnaissance quel qu’en soit le prix à payer . Le film est à voir en VO pour écouter la charmante voix un peu rauque de l’actrice (voir Bande annonce) .
Yórgos Lánthimos signe avec « The Favourite » son film le plus abordable , parfois burlesque mais vraiment captivant avec ce beau portrait de femmes tournant au bras de fer intraitable et sans pitié.
L’accueil public porté au film a été très bon et Olivia Colman a collectionné les récompenses , enchaînant les speechs avec bonheur , simplicité te humour , loin du personnage qui lui vaut une consécration internationale . Et consécration suprême elle a reçu l’Oscar de la meilleur actrice 2019 confirmant une « nature » attachante :
« … le propos est toujours nihiliste , le style toujours aussi trash et punkoïde . Mais le film se regarde surtout comme un terrain de jeu pour son trio d’actrices déchaînées , un soap opéra hystéro et cocaïné . » extrait de l’article publié dans le magazine Première Février 2019