Plan d’une forêt en hiver avec troncs d’arbres et neige et « un notre père » récité en voix off, un père initie son fils à la chasse ! Le plan d’ouverture du film résume bien l’ambiance dans lequel le film va doucement s’installer : une histoire tortueuse, abrupte avec la Famille et la Religion, valeurs fondatrices de l’Amérique toujours en filigranes !
Deux fillettes ont disparu, le conducteur d’un camping-car est suspecté. Il est attardé et vit avec sa tante. L’un des pères de famille keller Dover (Hugh Jackman) décide de prendre les choses en main devant l’impuissance apparente à avancer du flic, l’inspecteur Loki (Jack Gyllenhaal) , chargé de l’enquête.
C’est d’abord vers le scénariste Aaron Guzikowski (auteur du piètre « Contrebande ») qu’on se tourne. Son script distille les indices au compte-gouttes tout en développant des intrigues parallèles pour mieux rejoindre et alimenter le récit initial. Le spectateur est dans le doute et le questionnement ce qui laisse présent un suspense feutré mais bien vivace.
Villeneuve et Guzikowski ont savamment dosé le suspense. Villeneuve arrive à créer son style propre malgré des références perceptibles. On peut citer un univers à la « Fargo » (pour le climat neigeux), saupoudré de « Mystic River (le coté faire sa justice soi-même) et un léger soupçon de « L’échange » d’Eastwood . Les renvois de certains journalistes ou publicitaires à « Seven » et » le silence des agneaux » sont anecdotiques et vraiment très éloignés.
Le réalisateur choisit d’installer le climax par des choix visuels pertinents, la nuit, la pluie, les arbres « dénudés », les lumières blanches artificielles et hivernales pour nous faire rentrer dans ce sentiment d’incertitude glaçant et dépouillé. En même temps cet atmosphère permet un ressenti de l’affect à fleur de peau qui motivent et animent les principaux protagonistes de l’histoire.
C’est réussi. On ne s’est jamais où le réalisateur et le scénariste veulent nous emmener. Le suspense prend plusieurs directions, les fausses pistes tissent la toile de l’incertitude mais servent aussi l’avancée vers le dénouement.
C’est à la fois lancinant, subtil et jamais ennuyeux. Loin des grands effets calibrés d’Hollywood, Villeneuve conduit son sujet de manière dépouillée et efficace, aidé par un script sans failles et des acteurs justes.Mention spéciale à Hugh Jackman débarrassé pour un temps de ses griffes de Wolverine, son personnage de père inquiet est à la fois rugueux, jusqu’au boutiste, émouvant et aimant. Jake Gyllenhaal compose physiquement (tatouages, tics…) un flic pugnace avec conviction et justesse. Paul Dano fait penser à un elephant man junior. (Ceux qui ont vu comprendront peut être le clin d’œil !) Melissa Leo fait aussi une belle composition.
« Prisoners » est un plaisir de spectateur, « obligé » de rester en éveil face aux évènements . C’est un film d’artisan, voire d’un horloger dévoilant par petites touches le mécanisme de son histoire.
A notre époque c’est énorme de réussir à tenir en haleine, le spectateur sans musique assourdissante et sans renfort de surenchère basée sur de l’adrénaline « primaire » !
Ne boudez pas votre plaisir, découvrez « Prisoners », film rude comme l’hiver, sobre mais captivant comme un roman noir d’une Amérique désaxée et profonde.
(A noter que Mark Wahlberg est co-producteur du film, enfin un choix judicieux pour un acteur bien insipide en dehors de l’univers de James Gray.)