« Jusqu’à la garde » de Xavier Legrand avec Denis Ménochet, Léa Drucker, Thomas Gioria … Sortie Cinéma le 07 février 2018
Antoine (Denis Ménochet) et Myriam (Léa Drucker) sont séparés et passent devant le juge aux affaires familiales, accompagnés de leur avocat respectif pour évoquer la garde alternée de leur jeune fils de 11 ans , Julien. Ce dernier souhaite rester avec sa mère et ne pas revoir ce père au passé familial « supputé » violent et caractériel . La juge décide , dans le doute (pas de preuves tangibles) et dans le soucis de rétablir les droits du père , de « procéder » à une garde alternée . Les visites « juridiquement permises » de ce père « motivé » , énigmatique, changeant , à fleur de peau et inquiétant vont – elles l’amener vers une sorte de rédemption (« J’ai changé » ) ou une confirmation inéluctable de sa violence sous-jacente ?
Ce qui surprend dans » Jusqu’à la garde » c’est la tonalité double distillée par Xavier Legrand . Les premières images renvoient au Cinéma de Depardon ou des frères Dardenne . La retranscription des faits ont un accent « documentaire » (les avocates et leurs argumentaires par exemple ) axé sur la véracité du propos . C’est le Cinéma du quotidien et de la vraie vie . Puis peu à peu , la « fiction réaliste » reprend ses droits avec la divulgation , par petites touches de la personnalité perturbée et tendancieuse du père . des colères froides , des silences pesants, des yeux embués et nerveux contribuent à placer le film dans un autre axe, celui du suspense .
Car « Jusqu’à la garde » prend une autre dimension, dans sa deuxième partie où les codes du thriller sont revisités . A partir d’une problématique sociale (les violences conjugales) Xavier Legrand aborde quasiment le film de genre pour servir son propos d’origine et conduire son récit. La mise en scène est vraiment maîtrisée , puissante. Si certains plans (par exemple le plan fixe sur les chaussures et le sac de la fille de 17 ans du couple dans les toilettes en plein test de grossesse) sont peut être un peu longs, d’autres sont d’une force originale ,immersive et « intuitive ». Les gros plans filment au plus près des êtres meurtris et tourmentés , le père , le fils . Legrand utilise aussi des plans séquences. La scène « nocturne » presque finale ,où Myriam et Julien sont blottis l’un contre l’autre dans le noir sur le lit et qu’on distingue dans la pénombre leurs deux yeux ouverts inquiets est tout simplement impressionnante et « sensitive » pour le spectateur . L’effroi et la peur sont palpables . La mise en scène est implacable, à la fois simple et recherchée .
« Jusqu’à la garde » est aussi « servi » par des interprètes justes et XXL . Denis Ménochet est l’inoubliable monsieur Lapadite d’ « Inglorious Basterds » de Tarantino . Ici , il a depuis pris de la masse physique et livre une interprétation « ogresque » de ce père « ordinaire », monolithique,suspicieux,tortueux, intrusif, jaloux, fragile, désaxé, imprévisible, dangereux, complexe et caractériel . Sa composition fait froid dans le dos et on sort du film , chamboulé et retourné face à ce monstre « perdu » au quotidien . Léa Drucker et Thomas Giora atteignent un sommet de justesse et d’émotion, avec la scène de la baignoire, épilogue d’un sentiment « insécure » , pernicieux , éprouvant et constant. Le jeune acteur tient aussi la « dragée haute » face à Ménochet.
Xavier Legrand livre un film fort, glaçant, âpre, brut avec un sujet pourtant « casse gueule » et à priori , peu attractif . Je dois l’avouer , j’y suis allé à reculons. Je me suis surpris , dans le premier tiers du film, à me dire que les louanges étaient exagérées . Puis peu à peu, progressivement , la science du suspense s’installe , le spectateur est « participant » en termes de ressenti . Le côté réaliste de certaines scènes (appel à la police) accentue aussi la puissance émotionnelle. La violence « claque » à nos oreilles. Si le réalisateur quitte sa veine sociale, espérons qu’il s’aventurera sur les terres du thriller policier pour notre plus grand plaisir .
En attendant , ayez de la curiosité et de l’audace , car « Jusqu’à la garde » est bel et bien un coup de maître pour un premier film, qui prend aux tripes et en appelle à l’affect . La mostra de Venise 2017 a décerné d’ailleurs le lion d’argent , prix de la mise en scène à Xavier Legrand . Le réalisateur « mérite » bien son patronyme !