« Grâce à dieu » de François Ozon

28/02/2019 17:48

« Grâce à dieu » de François Ozon avec Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud, Eric Caravaca , Josiane Balasko, Bernard Verley, François Marthouret… Sortie Cinéma 20 février 2019

« Grâce à dieu  » a bénéficié , bien malgré lui, d’une mise en lumière médiatique « non désirée » avec une épée de Damoclès pesant sur sa date de sortie Cinéma et son report . Sur le site web du média La Croix on pouvait lire : « La défense du père Preynat, prêtre Lyonnais mis en examen pour agressions sexuelles dans cette affaire et non jugé encore, avait assigné en référé François Ozon pour obtenir un report de la sortie de son film, primé samedi soir (16 février 2019) du Grand prix du jury à la Berlinale.« Le juge considère que le fait d’insérer un carton à la dernière seconde du film indiquant que le père Preynat bénéficie de la présomption d’innocence répond aux exigences de la loi, a précisé Me Emmanuel Mercinier. La culpabilité de ce dernier n’étant dès lors pas présentée comme acquise ». Le procès va se tenir en mars et le film est bien sur les écrans depuis le 20 février 2019. 

Le sujet de « Grâce à dieu » est à la fois « sensible » & terrifiant car il aborde le problème de la pédophilie « pratiquée » par un prêtre, de ses conséquences sur « les vies d’adultes » des enfants abusés , l’omerta faite sur ses pratiques déviantes au sein de l’église et le combat de certaines victimes pour faire éclater la vérité aux yeux de tous . Ici ce qui est édifiant c’est que les faits sont bien réels  ainsi que les patronymes des « acteurs » de ce drame . Ozon va scinder quasiment en trois son film en faisant le portrait de 3 victimes : Alexandre (Melvil Poupaud) , François (Denis Ménochet) et Emmanuel (Swann Arlaud) ,seul personnage synthèse de plusieurs . Même si les trois protagonistes vont se rencontrer dans le dernier quart du film pour créer l’association « Libérez la parole » !

Le piège d’un tel projet aurait été d’être trop explicatif , didactique,  sous le poids d’une sorte de responsabilité et du coup de sombrer dans une sorte de manichéisme revanchard , argumenté et rébarbatif . Il n’en est rien.

Si les premières minutes font appel à la voix off , cette distance descriptive va laisser place rapidement à la découverte de ces histoires personnelles touchantes et édifiantes  marquées à vie par « l’innommable »  ! Car si le prêtre a pu « traumatiser » des enfants c’est aussi que l’église et sa hiérarchie ont fait preuve d’un laxisme édifiant ou d’un aveuglement volontaire . « Pourquoi cet homme s’occupe encore d’enfants ? » dit Alexandre en voyant son agresseur dans un journal local. « Ce que je veux c’est qu’il avoue et que le diocèse et le cardinal Barbarin l’entendent !  » dit-il à la psychologue du diocèse .

La force du film est d’utiliser le bon vocabulaire pour faire comprendre les dégâts causés : « innocence brisée » , « pédophile » , « pervers », « mettre la lumière sur l’obscurité de l’église » « Vous avez trahi ma confiance , ça m’a détruit », … Mais il montre la difficulté pour l’ institution que représente l’église de reconnaître publiquement ses torts et ses travers. ( « C’est une ombre sur ma vie . J’ai une attirance depuis toujours pour les enfants… c’est une maladie » / « Je comprends que je leur ai fait peut être du mal , j’en ai parlé à ma hiérarchie » ! » dit le prêtre.) Le cardinal Barbarin va tergiverser , gagner du temps et finalement malgré les faits prescrits, Alexandre , resté catholique pratiquant et croyant, va porter plainte . Ce sera l’amorce d’un processus juridique et humain qui mettra en lumière , avec ce cas précis , les abus dont ont été victimes des enfants par une figure « tutélaire » sensée représenter la morale, la bonté et la confiance, un prêtre.

François Ozon (au centre sur la photo) a fait un travail d’écriture et de recherche passionnant car le film est haletant , immersif, « coup de poing », effarant et documenté. Il capte forcément l’attention du spectateur & livre une sorte d’enquête de terrain où l’on croise des destins contrariés, abimés ou brisés. C’est édifiant de voir la façon de réagir de l’église en tant que corporation et non pas en tant que symbole de la foi chrétienne. Les plaignants sont pour la plupart restés croyants et leur action n’est pas une charge contre l’église mais bel et bien la reconnaissance de délits et un désir de justice quelque soit la position des incriminés .

Ozon est aussi un cinéaste, ici « engagé » et fort de son expérience (17 longs métrages au compteur) aborde ici plusieurs genres : « un film bergmanien assez austère… pour la partie Alexandre… Un film d’action pour celle de François…Et un mélo pour celle de Pierre-Emmanuel » a déclaré le réalisateur au magazine Première de Février 2019. Ce Cinéma « homogène » excelle dans les scènes de groupe ou intimistes, utilise les flash-backs et assume ses parti-pris visuels.  Lors d’un plan d’un escalier en colimaçon (symbole aussi des méandres compliquées de l’église) on repense à un plan quasi identique dans « L’amant double ». La lumière rouge du labo-photo symbolise sûrement le danger et l’incarnation du mal …  Le film est fluide, rythmé de manière singulière et jamais redondant. C’est peut être son meilleur film ou en tout cas le plus abouti . « Je me suis senti une responsabilité : celle de ne pas trahir ceux que j’avais rencontrés . J’avais envie de les « héroïser, comme Soderbergh le fait dans Erin Brockovich.Mais je n’ai pas eu à en rajouter . Car libérer sa parole au sein d’une famille catholique ou conservatrice, c’est héroïque! » *

L’interprétation est au diapason , tous les acteurs sont justes & attachants dans l’émotion et le jeu avec le trio principal Melvil Poupaud , instigateur « posé » mais tenace , Denis Ménochet (« Jusqu’à la garde »), à la nature emportée et volontaire et Swann Arlaud (« Petit paysan ») en écorché vif « trop intelligent » en quête de rédemption, d’amour , de confraternité et de reconnaissance . Le casting permet aussi de retrouver Eric Caravaca en médecin « victime » raisonnable et aussi Josiane Balasko en mère se sentant un peu coupable et voulant participer à la rédemption de son fils . Et le prêtre et le cardinal sont aussi campés respectivement avec talent et nuances par Bernard Verley et François Marthouret dans des rôles pas si évidents à incarner.

« Grâce à dieu » a fait un très bon démarrage en nombre d’entrées avec un sujet délicat , sociétal et nécessaire et à l’instar de « Spotlight », le film arrive à être captivant et nul doute qu’il sera en bonne place aux prochains Césars 2020.

* extrait de l’interview accordée par François Ozon au magazine Première Février 2019 

A successful mastery on a difficult subject !

Scénario
Réalisation
Interprétation
Musique
The subject of "Through God"/ "Grâce à dieu" is both "sensitive" and terrifying because it addresses the problem of pedophilia "practiced" by a priest, its consequences on "adult lives" abused children, the omerta made about his deviant practices in the church and the fight of some victims to bring out the truth in the eyes of all. Here what is edifying is that the facts are very real as well as the surnames of the "actors" of this drama.The strength of the film is to use the correct vocabulary to understand the damage caused: "broken innocence", "pedophile", "perverse", "to put the light on the darkness of the church" "You betrayed my trust , it destroyed me ", ... But it shows the difficulties for the institution that represents the church to publicly acknowledge its wrongs and its faults. François Ozon did a fascinating job of writing and research because the film is breathless, startling and documented. It necessarily captures the attention of the viewer and delivers a kind of field survey where we cross destinies thwarted, damaged or broken. It is instructive to see how the church reacts as a corporation and not as a symbol of the Christian faith. The plaintiffs have for the most part remained believers and their action is not a charge against the church but indeed the recognition of offenses and a desire for justice whatever the position of the incriminated. "Through God"/ "Grâce à dieu" is a great film very well done, interpreted and written. Must see !
A captivating, moving and startling french film !
Category: Avis Cinefeel

Utilisez les tags et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <s> <strike> <strong>