« Les gardiennes » de Xavier Beauvois avec Nathalie Baye, Iris Bry, Laura Smet, Cyril Descours, Olivier Rabourdin… Sortie Cinéma Mercredi 06 décembre 2017
Fumée , champ de bataille, la caméra « balaye » des corps de soldats en uniforme bleu-gris sombre, masques à gaz vissé sur leur visage … la guerre 14-18 fait rage ! 1915 apparaît en gros sur l’écran , une femme laboure un autre champ, de patates , peut être , en tout cas c’est le travail de la terre , celui des paysans , partis au front , eux aussi ! Les femmes sans fards , dures à la tâche, vont assumer l’absence des hommes et faire face à l’âpreté de cette vie rude où la vaillance est aussi de rigueur . Ce sont les gardiennes !
Hortense (Nathalie Baye) est la patronne de la ferme du Paridier , sous ses apparences rêches et déterminées , la Famille prend une place importante . Ses deux fils Constant (instituteur) et Georges se sont enrôlés dans cette « sale guerre » et son gendre Clovis est lui fait prisonnier par les allemands . Elle « gère » avec sa fille Solange (Laura Smet) mais va devoir embaucher une jeune servante volontaire et efficace Francine (Iris Bry) issue de l’assistance publique . « Il faut que tu trouves quelqu’un pour t’aider avant les moissons » ! L’aide ne sera pas superflue pour le battage des blés (du fléau à la moissonneuse batteuse, la cuisine, la conduite des boeufs, la traite…) Ses fils vont revenir , le temps de permission, Georges se rapproche de Francine .
Les partis pris de mise en scène sont sobres et épurés . Lors des premiers instants du film , le ton est donné, pas un mot , le silence, pas de musique ,le plan s’étire . En effet le travail de Caroline Champetier , directrice de la photographie , accentue « la couleur minimaliste » , naturaliste (le plan du fils partant entre deux arbres dans le brouillard) et pictural (La coupe du blé dan des champs orangers renvoie inévitablement à Jean François Millet ) . La reconstitution des vêtements de travail d’époque est aussi simple et juste . Les « laitières » avec leur fichus blancs sur la tête succèdent aux paysannes ramassant les pommes de terres , jusqu’à presque se casser le dos et en pleurer de fatigue . La vie rurale ne fait pas de cadeaux .Et Francine , la jeune héroïne , vaillante et tenace n’en attend d’ailleurs pas ! Sa patronne va reconnaître ses qualités d’ouvrière mais pas celles d’une potentielle bru ! Iris Bry, totale débutante, prête ses traits réguliers à cette femme « nature » , cette ingénue rurale, malgré elle, n’ayant comme atout que sa robustesse, sa beauté charpentée et son volontarisme, droite et fière face aux manigances et aux dissimulations . C’est une belle actrice , juste , naturelle reflétant la lumière du personnage à travers son teint blanc de porcelaine et sa chevelure roux. Une révélation .
Nathalie Baye campe avec conviction cette terrienne sèche, directe , ambivalente, responsable et soucieuse de l’avenir de ses enfants allant jusqu’à la manipulation et le mépris . « La petite est une bonne travailleuse, elle vaut mieux que des hommes » / » C’est une fille de rien , avec les filles de son espèce, il faut s’attendre à tout ! » parlant de Francine . Laura Smet, un peu un ton en dessous , ressemble de plus en plus à Nathalie Baye jeune !
Xavier Beauvois est parti d’un beau matériau , le livre d’Ernest Pérochon , publié en 1924 et auteur peu connu de « Nêne » prix goncourt en 1920 . Car au delà du contexte et des partis-pris de mise en scène , c’est une vraie histoire de roman qui permet aussi d’adhérer au film . Le meilleur du cinéma de Beauvois (« Le petit lieutenant » « Des hommes et des dieux » ) se caractérise par une simplicité de traitement apportant un sentiment d’authenticité , sans besoin d’artifices esthétisants et de mouvements de caméra à la Terence Malick . Certains ont cité Pialat* ou Truffaut comme références dans ce style minimaliste et humain , le résultat est comme l’alliance réussie d’une chronique familiale, d’un portrait de femme(s) à une époque rude où les conflits vont être sources de morts mais aussi de (re)naissances vers des émancipations forcées et salvatrices. « Les gardiennes » est un beau film exigeant , à regarder à son rythme !
A noter la musique de Michel Legrand apparaît de manière éparse et gaie lors de scènes avec Francine, accentuant sa nature enjouée et décidée .
*Sylvie Pialat ,veuve de Maurice est une des productrices du film.
Pour compléter cet avis , une version audio avec d’autres précisions via « Séance Radio » avec ERRATUM , la fille d’Hortense (Nathalie Baye), Solange est bien jouée par Laura Smet :